12/07/2011

Le Jeu vidéo, Caillois et son mimicry

Peut-on appliquer le concept de rejouabilité à un autre média que le jeu vidéo ?

Il y a bien quelques livres de ma bibliothèque que je relis régulièrement. Peut-être juste pour quelques pages ou pour retraverser le monomythe de Campbell. Il y a quelques films aussi qui se retrouvent, de temps à autre, dans le magnétoscope... oups... le lecteur de DVD. Mais je ne pense pas que John Irving ou Robertson Davies - deux auteurs qui reviennent souvent sur ma table de chevet - ont écrit leurs livres en pensant que les choix du docteur Larch ou de Maria donneraient au livre le mérite d'être relu.

Mais ceci n'est pas l'idée de la rejouabilité. Les designers de jeu vidéo pensent à la rejouabilité comme une valeur ajoutée. Une variation à l'œuvre qui inciterait le joueur à vouloir retraverser le corpus pour y découvrir une nouvelle expérience. En changeant l'avatar, le chemin à suivre, en altérant la fin, etc.

D'un point de vue ludique, la rejouabilité est une condition presque obligatoire du jeu. Roger Caillois définit 4 types de jeu: l'alea, l'agon, l'ilinx et le mimicry. Et je propose que ce soit dans le code génétique des 4 catégories que d'être rejouable. Le tic-tac-toe, comme jeu, offre une rejouabilité très limitée, le joueur épuise rapidement les possibilités, pires, il entrevoit très rapidement les limites du jeu et ce faisant abandonne rapidement. Il n'y a pas de tournois mondiaux de tic-tac-toe.

Les échecs, à l'opposé, offrent une possibilité presque infinie de variation. Premièrement par sa structure. Mais aussi parce qu'une partie du déroulement du jeu est géré par l'adversaire. Ce qui introduit une variance infinie et imprévisible à la partie.

Le joueur cherche dans le jeu, par définition, la possibilité de rejouer, de maîtriser le jeu, d'y devenir un expert, d'exceller. Au poker, aux échecs, à Tétris. C'est vrai pour l'agon et c'est vrai pour l'alea. Même l'Ilinx exige du joueur une certaine fidélité - l'ilinx demande une approche hédoniste au vertige. Reste le mimicry et j'y reviendrais plus tard.

Mais très peu de gens vont rejouer à Bioshock, Dead Space, Deus Ex.
Tout comme très peu de gens vont revoir des films, relire un livre.

C'est l'exception et je ne rejoue pas à Dead Space pour y être meilleur, mais parce que je veux revivre une certaine émotion, un moment particulier. Pour les mêmes raisons que je vais relire un livre ou revoir un film.

Je peux aussi rejouer à  Dead Space à différents niveaux de difficulté et c’est ce que l'industrie du jeu vidéo propose comme rejouabilité. Mais, finalement, ce sera comme le tic-tac-toe, je vais rapidement réaliser les limites de la proposition. Et l'investissement de temps rendra la proposition simplement non viable.

Le jeu est rejoué dans un but d'amélioration, de performance, de variation.
Le livre est relu pour revivre, revisiter un moment passé. Le premier s'inscrit dans une évolution, le second s'inscrit dans la tradition.

Caillois a créé une catégorie pour le jeu théâtral: le mimicry. Pour Caillois, le théâtre est une forme de jeu - pour lui, la formule n'est pas figurative, mais réelle: Le jeu de l'acteur une forme du ludisme.
Il y a déjà des jeux vidéo pour l'agon, l'alea et l'Ilinx - mais pour le mimicry ? L'acteur de théâtre rejoue la même pièce, soir après soir, recherchant la même émotion, mais aussi une certaine variation.


Caillois, Roger, Les Jeux et les hommes, Gallimard, France, 1967


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